Ma volonté est que mes dessins,mes estampes, mes bibelots, mes livres enfin les choses d'art qui ont fait le bonheur de ma vie, n'aient pas la froide tombe d'un musée, et le regard béte du passant indifférent, et je demande qu'elles soient toutes éparpillées sous les coups de marteaux du commissaire priseur et que la jouissance que m'a procurée l'acquisition de chacune d'elles, soit redonnée, pour chacune d'elles, à un héritier de mes goûts. EDMOND DE GONCOURT

Edmond et Jules

Edmond et Jules

Edmond de Goncourt par Nadar

Edmond de Goncourt par Nadar

dimanche 25 novembre 2007

Préfaces du livre" Collection Des Goncourt Estampes Modernes Aquarelles et Dessins "

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LES
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ESTAMPES MODERNES
DE LA
Collection des Goncourt
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Aucune idée générale, aucun ordre n'a présidé à la réunion que voici d'estampes modernes. Seul le plaisir des yeux, l'instinct ont guidé l'amateur de toute matière d'art qu'était Edmond de Goncourt. A coté des lithographies de Gavarni dont on ne peut brièvement parler, je pensais trouver ici de nombreuses pièces, eaux-fortes et lithographies, de Descamps. Jules avait reçu de lui des conseils . Gavarni, ainsi que les Goncourt, plaçait Descamps au premier rang des modernes. J'ai été désabusé en feuilletant les cartons. Edmond s'y était pris trop tard pour faire son oeuvre; il dédaignait les épreuves médiocres, et les belles pièces de son peintre préféré ne courent pas les rues.
Il faut remarquer que les estampes réunies ici sont, non seulement modernes, mais encore, on peut le dire, actuelles et du dernier bateau . Cette collection, en effet, ne contient qu'un nombre relativement restreint des pièces exécutées avant cette date fatidique : 1870, et dont voici le court dénombrement :
Bonington : la lithographie typique de la Rue du Gros-Horloge.
Corot : une seule de ses rares eaux-fortes. (C'est moi qui l'ai fait mordre et j'en suis fier !)
Daumier : la Rue Transnonnain, le Ventre législatif et trois autres pièces capitales.
Delacroix ne manque pas à la série, mais il n'est représenté par aucune pièce du premier rang.
Goya : trois épreuves, sur quatre, des lithographies connues sous le nom de suite de Bordeaux.
Paul Huet : belles épreuves des premiers paysages.
Meissonier : six eaux-fortes dont le Fumeur.
Millet : sept pièces. Deux épreuves des Glaneuses. Une épreuve de la Femme faisant manger un enfant.La morsure de cette planche est aussi mon fait.
Raffet : trois pièces dont le combat d'Oued-Alleg.
Th. Rousseau : le plateau de Bellecroix et le Chêne de Roches.
Encore une morsure de moi . On excusera ces préoccupations personnelles qui marquent pour moi de vieux et de précieux souvenirs.
Malgré leur importance, les dix noms que je viens de citer - et quelques-uns sont des plus hauts - seraient insuffisants pour servir d'en-tête à un inventaire de la lithographie et de la gravure au XIX e siècle. Séparés par la diversité de leurs tendances, ces dix artistes ont néanmoins entre eux des attaches dans un même parti, celui de la couleur et de l'effet. A la distance déjà historique d'où nous pouvons étudier leurs oeuvres, tous sont des romantiques.
En peinture, le survivant des deux frères était romantique, comme ceux dont il collectionnait les images. Les classique l'intéressaient peu, et il ne songeait pas opposer aux oeuvres du romantisme celles d'Ingres, et de Paul Delaroche et du réalisme Courbet.
Ingres : maître dans toute l'étendue du terme, par la pratique de la peinture et de l'enseignement du dessin.
Paul Delaroche : historien, peintre littéraire dont l'oeuvre n'atteint jamais, ou très rarement, que l'à peu près de l'art auquel il vise. il semble que le supplice de Tantale ait été inventé pour lui.
Courbet : ouvrier de premier rang, qui acheva le désarroi jadis perpétré par David. Non pas que sa peinture soit médiocre, elle est au contraire excellente, mais dans ses discours, dans l'exposé de ses théories, il a la prétention sert encore de réclame à différents groupes d'artistes, naïfs et sincères.
A défaut de cette ensemble, formé par les productions de l'art du XIXe siècle , notre collection contient quantité d'ouvrages d'artistes exotiques, ou plutôt d'étrangers installés chez nous. La plupart de leurs planches sont composées et imprimées à Paris; elles représentent nous-mêmes, nos omnibus, nos premières communiantes, nos ramasseurs de pommes de terre, etc. Nous sommes conquis par des gens venus des quatre coins de l'Europe et aussi de l'Amérique.
Les diplômes variés que décerne le grand bazar parisienne sont pas pour décourager les démonstrations sympathiques dont ils nous accablent. Nous ne les méritons pas complètement, car il est de ces diplômes qui doivent être considérés comme de simples politesses internationales.
L'élite de la colonie exotique travaillant à Paris est bien représentée, ici, pièces nombreuses signées : Fortuny, Vierge, Whistler, Zorn.... Les eaux-fortes de Seymour-Haden très estimées par Edmond, sont venues par importation.
Parmi nos compatriotes, j'ai à citer des personnalités brillantes : Besnard, Boilvin, Desboutin... Je m'arrête; aller plus loin semblerait faire un choix parmi les artistes et je n'en veux pas faire. Citer un nom sans commenter une oeuvre ne me plaît pas.
Pourtant je veux écrire le nom de Rodin. Jamais, sans les admirer, je n'ai vu les deux portraits de Victor Hugo qu'il a gravés à la pointe sèche, et qu'on trouvera ici. Avec un statutaire, le grand poète avait trouvé un dessinateur digne de lui. Rodin, le sculpteur, possède, dans toute sa plénitude l'art mystérieux de traduire la nature.Il sait sur le papier, avec la plume du dessinateur, sur le métal, avec la pointe du graveur, avec le terre, le bronze, le marbre du statuaire, il sait établir le plan, et pour les rares dessinateurs, sculpteurs ou peintres, qui en comprennent le sens et les déductions.

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..La raison de lettres : LES GONCOURT désigne l’intime et fraternelle association des deux écrivains. Quand il était à l’âge des projets d’avenir, Jules travaillait pour devenir peintre. Il étudiait le dessin, l’aquarelle, et cette double étude, poussée assez loin, lui avait permis, alors qu’il avait abandonné le dessin pour l’écriture, de donner à ses eaux-fortes la belle allures qui les distingue. Jules de Goncourt, dont ce n’était pas l’état, avait le talent d’un vrai graveur, la pratique du dessin sur le métal, tout à fait différente du dessin sur le papier. Cette différence vient de l’âpreté du métier de graveur, dont les instruments sont inexorables. Les outils de fer ne sont pas des crayons ; ils s’interposent entre la volonté du dessinateur et l’exécution du dessin .
..Voici le problème pour l’eau-forte : il faut en concevoir le dessin, non seulement par la pointe qui trace des traits, tailles ou griffonnis, sur le vernis dont le métal est couvert ;mais encore, et surtout , il faut prévoir l’action mordante de l’acide. Action qui , dans les creux du tracé ouvert par la pointe, fait fondre le métal, comme l’eau fait fondre le sucre. Le métal est creusé, gravé, partout où la pointe a coupé le vernis. Et ici, qu’on y fasse bien attention : la couleur, le ton , les valeurs – c’est le mot propre – d’une eau-forte résultent des diverses profondeurs obtenues par l’acide et non pas par le tracé de la pointe.
..La griffe du lion, symbole littéraire de l’entaille que le graveur creuse le cuivre, n’a pour instrument que la goutte d’eau-forte dont l’action est prépondérante dans la morsure. C‘est par elle que réellement sont distribuées les valeurs, c’est à dire – je le répéterai sans cesse – le modelé, le principe général des arts.
..Ce rapport entre le tracé du dessin sur le vernis et la morsure par l’acide, Jules l’avait compris dans toute sa virtuosité. La planche qu’il a gravée d’après Chardin , la Timbale d’argent, en est l’exemple le plus marquant. On peut dire que celle-ci est peinte : les touches, les coups de pinceau ce voient. La diversité des valeurs est obtenue par la morsure. La pointe avait sans doute préparé le travail de l’acide ; mais, mordue à plat, cette aurait été plus que médiocre. Il n’y a pas seulement, dans cette eau-forte, l’indication, l’étagement des plans, des lignes, d’un paysage ; ce que j’y vois est la compréhension générale d’un ensemble, celle des valeurs et de la couleur des morceaux .
..Chardin, le grand peintre qui apporte à la forme des objets, des ustensiles de ménages les plus modestes, l’ampleur que les autres grands peintres placent dans l’esprit même de sa peinture, sans traits, mais par les lignes et des masses, conformément au principe que l’eau-forte est un dessin gravé, et n’est pas une GRAVURE.
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..Les dessins et les aquarelles de Gavarni, les aquarelles de Jules de Goncourt, sont en tête du catalogue des estampes réunies par Edmond. Les noms de ces trois grandes personnalités sont inséparables.
..Edmond débutera dans la recherche de l’estampe moderne vers 1880. il n’a manifesté aucune tendresse pour la gravure sur bois qui lui paraissait faite non pas pour le carton ou le cadre, mais pour le livre. C’est par dépit contre le japonisme qu’il acheta ses premières eaux-fortes et lithographies. « Bientôt, me dit-il, on ne pourra même plus regarder les choses du japon ; les prix deviennent insensés ! »
..Quelle source intarissable d’idées, d’aperçus différents nous offrait l’art japonais ! Rarement nous étions d’accord sur ce sujet. (On me permettra d’exposer la raison de nos discussions.)
..Depuis longtemps, j’étais et je suis resté retour du japon. Certes, ma sympathie, mon admiration n’ont subi aucun amoindrissement pour cet art qui sait tout dire, tout exprimer par des formes ornementales d’une originalité qui se renouvelle sans cesse . Mais après la période des surprises, des enchantements provoqués par la nouveauté d’expressions si inattendues, est venu le calme de l’examen critique . Sans cesser d’admirer les résultats, j’ai pu apprécier, analyser les moyens d’exécution .
..Par sa conception élémentaire, l’art japonais, ou plutôt l’art de l’extrême Orient, est inférieur ; inférieur, parce qu’il est incomplet dans la représentation de la nature . Par lui le dessin est réduit à la convention graphique du trait , il rend l’expression des choses seulement par les contours . L’art japonais ignore et veut ignorer la lumière et l’ombre, ces éléments naturels, qu’ici , pour exposer rapidement ma pensée, j’appellerai la nature même . L’infériorité de l’art japonais vient de la suppression voulue du clair et de l’obscur dans sa conception . C’est à la fois sa faiblesse et son originalité. Elémentaire dans sa technique, il est à la portée de tous et semble naturel à toute main ; c’est une écriture . Elle n’en a pas moins permis l’éclosion d’un génie du dessin tel qu’Hokousaï…
..Goncourt parlait d’expression, je répondais moyen ; nous ne pouvions nous entendre .
..Sans lien avec l’art du Japon, mais pour compléter l’idée qu’on doit avoir de la convention graphique – le trait – Je veux rapporter un mot dit Ingres à ses élèves : « Messieurs, l’école du trait, mauvaise école !… » Ne rions pas du laconisme un peu pédant d’un maître du modelé . Modeleurs ! nous le sommes tous, bons ou mauvais, de ce côté du monde où le soleil se couche. Ingres énonçait ainsi à la fois le principe d’art et la doctrine de son enseignement .
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..Mais tout ceci m’ éloigne fort des estampes modernes. La vente qui commence aujourd’hui va donner la dernière volée à ce qui reste des choses d’art réunies par les Goncourt . Les sept catalogues qui ont été publiés successivement demeureront, sans doute, comme le complément de leurs ouvrages. Ces inventaires posthumes marqueront les préoccupations incessantes qu ‘ont eues les deux frères inséparables de joindre, dans un alliage brillant, la littérature à l’art ; ils donneront la preuve de la conscience et de l’étendue de leur information, de l’indépendance, de la sûreté de leur goût et porteront témoignage de la solidarité de la solidité de leurs œuvres d’historiens, de romanciers et d’artistes bâties pour l’avenir, sur des dessous résistants.
..Ainsi soit-il
BRACQUEMOND
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