Ma volonté est que mes dessins,mes estampes, mes bibelots, mes livres enfin les choses d'art qui ont fait le bonheur de ma vie, n'aient pas la froide tombe d'un musée, et le regard béte du passant indifférent, et je demande qu'elles soient toutes éparpillées sous les coups de marteaux du commissaire priseur et que la jouissance que m'a procurée l'acquisition de chacune d'elles, soit redonnée, pour chacune d'elles, à un héritier de mes goûts. EDMOND DE GONCOURT

Edmond et Jules

Edmond et Jules

Edmond de Goncourt par Nadar

Edmond de Goncourt par Nadar

dimanche 9 décembre 2007

Le Biographe novembre à décembre 1892 ( Porrait d'Edmond de Goncourt par Eugène FAIVRE )

EDMOND DE GONCOURT
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Janus avait deux visages : Edmond de Goncourt en présente quatre. Il nous apparaît comme littérateur, comme historien, comme érudit d'art, comme aqua-fortiste, et il fait grande figure sur trois de ces quatre aspects.
Né à Nancy, en mai 1822, fils d'un officier supérieur et petit-fils député aux Etats-Généraux, il précéda de quelque huit ans son frère Jules dans la vie, vie facile, bourgeoise, dont le journal des deux frères donne en maints endroits des croquetons délicieux.
Riches et oisifs, les Goncourt débutèrent en 1851 par une étude sur le Salon, puis parurent les Mystères du théâtre - pas tous -,la Lorette, l'Histoire de la Société française pendant la Révolution et le Directoire, dont seul le titre parait long. Leur première oeuvre D'imagination fut publiée le jour du coup d'Etat et intitulée : En 18 .. C'est d'une curieuse incohérence, moitié inventaire d'objets mobiliers, moitié procès-verbal de conversations entre quelconques. Les auteurs y donnent un avant-goût de ce que devaient éprouver beaucoup plus tard les préposés au téléphone.
Quoi qu'il en soit, cet embryon contient les dominantes de leur futur talent de romanciers, à savoir la peinture technique des paysages, les constatations exactes, le brio parfois factice du dialogue.
Nous ne mentionnerons pas la nomenclature complète de cet oeuvre considérable ; en quinze ans les Goncourt jetèrent dans la circulation plus de vingt volumes, nous préférons en dégager ce que la plus exacte énumération ne déterminerait pas.
Qu'il s'agisse d'artistes et de femmes célèbres, ou de héros de roman, les deux frères s'appliquent avec un effort constant à serrer le plus près possible la vie, les allures, les pulsations de leurs personnages. Ils voient juste et jamais, comme nous le reprochions à Zola dans un récent article, ils ne s'arrêtent aux surfaces. Friands de documents, ils étayent leurs monographies de lettres et de témoignages authentiques, de même ils aiment moins à imaginer qu'à se souvenir lorsqu'ils écrivent la trop brève série de leurs romans.
L'Obsession de la réalité et le choix judicieux des couleurs sont les caractéristiques de leur manière : ce mot ne vient pas se placer ici sans une arrière-pensée de notre part.
A cela joignions l'esprit de la délicatesse de touche, la pensée car nous en trouvons, enfin ! Dans leurs livres (denrée rarissime), l'originalité d'impressions, le bien rendu des divers milieux, la complexité humaine des caractères.
Il y a là plus qu'il n'en faut pour être mis longtemps au rancart, puis pour être contesté, vilipendé, défiguré. Aussi est-il piquant de relever dans le Journal de ces clairvoyant, des phrases de détresse, des découragements amers à propos de l'indifférence et de la mauvaise foi qui les accueillent.
Je leur voudrais plus de sérénité, plus d'insouciance et surtout plus de dédain pour les résultats monnayés. Comment ! Talentueux et indépendant ils se dessèchent pour un peu de bruit qui tarde à se faire ! Leur caractère serait-il donc inférieur à leur intelligence ?
L'attention ne va jamais tout de suite, c'est une loi immuable, aux livres de durée. On trouverait qu'il y a proportion entre lenteur de l'avènement et la persistance du règne en littérature. Et ne convient-il pas en effet que ce qui va tourner soit servi d’abord ?
C’est une mélancolie pour le survivant des deux frères que cette gloire conquise à deux et qu’il est seul à porter. Les Frères Zemgano écrits par Edmond de Goncourt dans son deuil offrent une façon d’autobiographie où l’on retrouve par à peu près cette communauté de deux existences et de deux pensées, cet amalgame intime de deux âmes, plein de délices, mais impuissant cependant à conjurer des tristesses et des dégoûts notés au jour le jour.
Et puis quel vide après ces joies disparues, après ce rare bonheur d’avoir été double par le cœur et par le cerveau ! Après vingt ans, on en retrouve la nostalgie sur le visage hautain de l’auteur de la Fille de Elisa et toute voix humaine semble lui être un leurre douloureux, un pénible rappel du temps où il entendait parler sa pensée par une bouche aimée, une bouche aux moustaches gris de lin, fraîches à rendre jalouses les femmes.
J’ai surpris quelque chose, un reflet vivant de cet amour des deux frères, un jour qu’Edmond de Goncourt me montrait un portrait de l’absent. L’œil noir, un peu dur, le masque volontaire et carré, les lèvres dédaigneuses de mon hôte se noyèrent soudain de douceur dans la contemplation de cette image évocatrice, et je vis combien le mort vivait encore dans son autre poitrine.
Edmond de Goncourt a résolu d’assurer à leur mémoire une concession perpétuelle, sous forme d’académie. Elle sera composée de dix membres jouissant d’une rente individuelle de six mille francs. Le capital nécessaire n’étant pas complètement acquis, le fondateur s’astreint à une vie parcimonieuse pour le parfaire.
Six mille francs, quelle nique à la bourse un peu plate de l’académie des Quarante, où les émotions du jeton de présence sont une dernière joies de nos grands hommes brevetés ! Car, à chaque séance, les académiciens se partagent le sac des non-présents, tant pis pour les podagres, pour les membres ne demeurant pas sur certains parcours d’omnibus – oh ! que par les temps de pluie la correspondance aléatoire ! - ou pour les mauvais caractères préférant qu’on ne les chine pas deux fois par semaine.
Un fixe de six mille francs à ceux d’en face ! Monsieur de Goncourt c’est mêler du chicotin au persil de la concurrence, mais le duc d’Aumale, le plus taquin des princes, prétend son entourage, a requinqué la dame en la mettant à même de disposer un jour d’un demi-million par an.
Dès maintenant on peut présumer que ce pactole ira bien un peu du côté des petits sacs, et que les Dix de l ‘Académie Goncourt ne vaudront plus devant la caisse à eux dix autant que les Quarante du bout du Pont.
Du moins les patitos de la vieille auront-ils, grâce à vous, Monsieur, un recours avant d’en être réduits à n’être qu’eux –mêmes le néant pour d’aucuns.

Eugène FAIVRE

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