Ma volonté est que mes dessins,mes estampes, mes bibelots, mes livres enfin les choses d'art qui ont fait le bonheur de ma vie, n'aient pas la froide tombe d'un musée, et le regard béte du passant indifférent, et je demande qu'elles soient toutes éparpillées sous les coups de marteaux du commissaire priseur et que la jouissance que m'a procurée l'acquisition de chacune d'elles, soit redonnée, pour chacune d'elles, à un héritier de mes goûts. EDMOND DE GONCOURT

Edmond et Jules

Edmond et Jules

Edmond de Goncourt par Nadar

Edmond de Goncourt par Nadar

lundi 2 février 2009

LA COMETE du dimanche 9 février 1868



EDMOND ET JULES DE GONCOURT

par Xavier Girard


 




Peut-être avez-vous déjà rencontré sur les quais, feuilletant des livres, ou examinant des gravures, deux hommes, jeunes encore et se ressemblant beaucoup d’aspect et de démarche.

Il est rare de les voir séparément. L’un paraît de quarante deux à quarante ans. Il est grand, mince, pâle, les cheveux sont courts et grisonnants, la moustache est fine, le regard légèrement voilé par la mélancolie ou éclairé par un sourire charmant ; les mains enfoncées dans les poches d’un ample pardessus, un cigare éteint aux lèvres, il semble marcher au pas de sa rêverie.

L’autre plus jeune, la désinvolture élégante, la tournure d’un dandy, le lorgnon dans l’œil, la joue rose, la moustache épaisse et blonde, le sourire un peu moqueur, a, malgré ces quelques différences, les traits et allure de l’aîné.

Suivez-les, ils s’arrêteront devant la boutique d’un marchand de bric à brac  ou d’autographes ; examinant, lorgnant, retournant, admirant les mêmes objets, ayant le même goût pour les mêmes choses.

Ce sont deux hommes bien connus ; discutés maintenant, dans vingt-ans, ils seront admirés de tous, comme l’est maintenant Balzac.

C’est Edmond et Jules de Goncourt. Seuls les savants, les raffinés en littérature, les admirateurs de ce qui est finement et délicatement touché, les connaissaient, avant qu’une cabale, en voulant ruiner leur crédit, les ait subitement jetés à la célébrité.

Ils sont nés, Edmond l’aîné à Nancy, le 26 mai 1822 ; le second, Jules, à Paris, le 17 décembre 1830. Leur père, Pierre Huot de Goncourt, était chef d’escadron et officier de la légion d’honneur.

Aussitôt ses classes terminées, on avait placé l’aîné au ministère des finances ;  ce n’était guère dans ces goûts. Toute sa vénération, tout son enthousiasme se reportaient sur la peinture. Le matin à cinq heures, il se levait, courait d’un trait à l’atelier  Dupuis, et peignait jusqu’à dix-heures, heure fatale, l’heure de bureau.

La mort de sa mère le laissa libre de suivre sa vocation ; il quitta le ministère. A cette époque, en 1849, Jules sortait du Lycée Bonaparte où il avait fait des classes brillantes. Il n’avait pas plus que son frère l’amour du bureau, rien ne les retenait à Paris, ils achetèrent deux sacs de voyage, deux bâtons et partirent à pied à travers la France.

Arrivés à Marseille, ils ne pouvaient pas aller plus loin ; la fantaisie leur vint de visiter l’Algérie. Ils prirent le paquebot et songèrent un instant à s’engager dans une expédition pour Tombouctou.

Lorsqu’ils furent bien saturés de soleil, de lumière et de couleurs, ils revinrent à Paris et se remirent à la peinture, à l’aquarelle, je crois.

Un beau jour, ils abandonnèrent le pinceau ; l’idée leur prit de faire un livre.- Quoi ? – ce que la fantaisie, cette folle déesse de la jeunesse, leur inspirerait ; et le 2 décembre 1851 parut un petit volume intitulé : En 18… Le moment était peu propice. Arnal aurait trouvé que c’était raide de produire un livre à pareille époque. La police ne laissa pas poser les affiches, et à l’exception de M. Pontmartin, qui fit l’honneur d’un éreintement, personne  ne parla du livre.

A ce moment, un cousin, le Comte de Villedeuil, un romantique enragé, débarqua de la province les poches gonflées d’un bel héritage, et rêvant un journal.

Naturellement les cousins en furent, et l’on fonda : Paris, journal quotidien, illustré par Gavarni avec Murger, de Banville, Alphonse Kaar, Aurélien Sholl, Adolphe Gaïffe pour collaborateurs. Le journal marcha un an. Un article d’Alphonse Kaar le fit supprimer.

Les deux frères commençaient alors une d’ouvrages sur le 18e Siècle, la révolution et le directoire. Une étude approfondie, non-seulement des écrits, mais encore des tableaux, des gravures, des autographes, des ameublements, de tout ce qui de près ou de loin se rapporte à cette époque, leur fit jeter sur certains détails de cette histoire, une lumière inattendue.

Peu d’hommes ont compris et raconté cette période agitée avec autant d’originalité, de charme et de vérité. Leurs maîtresses de Louis XV, leur histoire de Marie-Antoinette, leurs tableaux de la société française pendant la révolution, et le directoire sont des modèles de genre.

Puis, attirés par l’étude des mœurs contemporaines, ils portèrent sur l’examen des esprits, des caractères, des vices et des ridicules, ce génie d’observation qui les distingue. Ne se rattachant à aucune école, ce n’est pas telle ou telle partie de l’humanité qu’ils dépeignent. Leur axiome, qu’ils ont formulé dans : Idées et sensations, est celui-ci : En littérature, on ne fait bien que ce qu’on a vu ou souffert. – Ce qu’on a vu, soit en haut de la société, soit en bas. Ils étudieront tout : que ce soit le cœur d’une cuisine ou celui d’un diplomate, si ce cœur vit, palpite, échauffé par la passion, leur pinceau s’en saisira. Aussi quels types ils ont créés, depuis la femme bête et tracassière de Demailly, jusqu’à sœur Philomène  ou Manette Salomon. Depuis Germinie Lacerteux jusqu’à Renée Mauperin, cette fille fantaisiste et pleine de cœur que Taine dans ses notes sur Paris, considère comme une des plus remarquables créations du roman moderne.

Et comme les caractères ressortent au milieu de ces descriptions si vives, si colorées si artistiques. Leur plume est sans rivale pour dépeindre les nuances de la couleur, les jeux de l’ombre et de la lumière, le chatoiement des objets sous le rayon de soleil, la poussière diaprée par un filet de clarté. Certaines de leurs descriptions sont des eaux-fortes.

Voici comment les apprécie un de nos plus grands critiques, M.Sainte-Beuve : « MM. De Goncourt, dit-il, sont des artistes aussi distingués que convaincus et sincères, un talent rare en deux personnes, de parfaits gentilshommes de lettres. Ce sont des modernes et de purs modernes ; ils marchent hors rang, courageux et unis, à leurs risques et périls, se tenant par goût aux avant-postes de l’art. Ils tentent constamment, ils cherchent sans cesse. » Il n’y a rien à ajouter à une telle définition, elle les peint entièrement.

 

P.ENRELAS.

 

 

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